Jeudi 25 mai 2010
" Pour ce 200eme billet de mon blog, c'est une bien triste nouvelle que je vous annonce. Trois ans après l'ouverture de la "plus belle boutique du monde" une page va se tourner.
J'ai essayé de vivre d'un commerce différent, un commerce ayant une démarche globale, écologique et équitable, respectueux de l'homme et de l'environnement, ici aucun des produits n'est responsable de la destruction de l'environnement ni ne participe à un quelconque esclavage des travailleurs, des artisans.
Un commerce qui ne transformait pas la foret amazonienne en hamburger, les forets d'Indonésie en barre chocolatée, qui ne participait pas à la lente et inexorable montée de la sur-puissance de Mosanto et de ses OGM, qui n'exploitait pas des enfants, des ouvrièr(e)s, des prisonniers, qui n'obligeait pas aux suicides de masse des producteurs de coton indien...
Un commerce véritablement équitable, sauf pour moi et pour ma famille, c'était un acte militant qui nous à couté et va encore nous encore nous couter beaucoup d'argent, trois ans de non salaire pour arriver à ne plus pouvoir payer son loyer, ses factures. (...)
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Yann avait ouvert sa boutique en 2007. Des Bouts du Monde à Narbonne, un commerce "autrement". Nous nous étions naturellement rencontrés sur la Toile, ça allait de soi. Sur la route d'un retour de vacances, nous avions fait halte et bu chez lui du coca breton équitable.
Son message m'a touchée, peinée, je crois bien que j'ai eu envie de pleurer. Inutile d'en rajouter, mon empathie pour cette histoire va aussi de soi. En revanche, ce qui ne va de soi, c'est le commerce autrement. Car le monde est tel qu'il est. Yann le sait mieux que moi, lui qui a voyagé plus loin que moi.
Nous qui arrivons à l'entreprise par le projet, avons du système une vision confuse. Humanistes, nous nous y installons avec naïveté. Et alors ? croyons-nous... Et alors, trois ans plus tard, patatrac, boum, kaput.
Le commerce autrement ne serait-il qu'un leurre ? Ni accepté ni acceptable. Les règles du commerce seraient-elles immuables ? Basées sur la richesse financière? Car au fond, quelles initiatives alternatives réussissent ? Celles qui peuvent s'offrir de l'emplacement n°1, de la pub à tout casser, du stock à tout casser, un compte bancaire jamais dans le rouge, des cautions personnelles solides comme du béton armé ? Apparemment, oui, celles-là. Parce qu'e d'un point de vue financier, elles ne sont pas alternatives, elles sont rigoureusement conformes aux attentes des banquiers, des bailleurs, des notaires et de la corporation. Parce ce monde parle le même langage et que nos mots à nous ne leur parviennent pas ainsi que nous les énonçons. Parce que nous sommes des doux-rêveurs, des sans le sou, des "artistes"...
Je n'oublierai pas ce jour où, dans ma boutique presque vide, je me suis entendue dire , sur le ton de moquerie bourgeoise, que j'étais sûrement une artiste... oh, pas une artiste au sens strict du terme, mais une sorte de bohémienne, de martienne dans le monde du commerce... Comme si la boutique n'avait été qu'une sorte de passe-temps, de hobby... ou une lubie expérimentale. un tour du monde sur un bateau. Un truc comme ça, pour essayer.
C'était pourtant un travail, un vrai travail dans la vraie vie. Il aurait pu prendre une autre forme, c'est vers celle-ci que la vie m'avait menée. C'est vers celle-ci que la vie a mené Yann. Un travail, ce sont des horaires, des compétences, des apprentissages, des questionnements, des problèmes à régler, des calculs à faire, des gens à appeler, des journées à organiser, des choses à penser, des décisions à prendre, des tâches à exécuter. Nous avions prévu que ce travail nous ferait vivre, une aspiration on ne peut plus normale. Un travail.
Après ces expériences professionnelles, nous pourrions nous cacher au fond des bois, nous carapater comme des tapettes à mouches, faire le mort.
Ben non. Non non non.
Car, désormais nous savons. Ah ah ah !!! Nous sommes entrés dans la bergerie, nous avons vu. Tout. Le bon comme le mauvais, les forces et les faiblesses, les vérités et les mensonges. Avoir été à l'intérieur, dans le ventre du système et en être sortie vivante, est une consolation qui m'évite personnellement d'être aigrie. La digestion n'étant pas terminée mais plutôt en bonne voie, ma vision de ce système économique est en effet de moins en moins floue. Je mesure combien je le connais. Voilà probablement ce qui nous a manqué, au début. Voilà probablement ce que nous avons gagné, à la fin.
Ainsi mieux instruits, tenterons-nous d'autres incursions ? Trop tôt pour le dire. Contentons-nous de dire, de témoigner, de transmettre. C'est le moins que l'on puisse faire.